Enseigner et évaluer par compétences – Partie I:

Ce premier article est la partie n°1 d’une série de trois articles, intitulée « Enseigner et évaluer par compétences ». Il reprendra succinctement « l’histoire » du système d’évaluation actuellement utilisé en France depuis des années, et en sortira les aspects positifs et négatifs; tandis que le deuxième traitera plus spécifiquement du partage de nombreuses expériences autour des référentiels d’évaluation par compétences, et de ce qu’on peut en retenir. Enfin, le dernier discutera des niveaux d’acquisition à choisir pour évaluer de cette manière.

Chaque année, la discussion sur l’évaluation par compétences est un point de désaccord entre enseignants; presque même un sujet de controverse dans certaines salles des professeurs. Et il est assez clair qu’à ce jour, leur utilisation n’est pas encore entrée dans les pratiques communes: il y a celles et ceux qui sont clairement contre, celles et ceux qui sont pour et qui les utilisent régulièrement; et puis, celles et ceux qui se demandent ce que cela peut apporter à leur pratique professionnelle.
Pour ma part, après plusieurs années d’expérience, j’utilise quotidiennement l’évaluation par compétences. Mais sous certaines conditions et sous certaines formes, car il existe des aspects négatifs à ce système d’évaluation; aspects négatifs qui ont souvent rebuté, à raison, nombre « d’anciens » (nous les détaillerons dans notre deuxième et troisième article).

Dans cette partie I, je reprendrai succinctement « l’histoire » du système d’évaluation par notes, en y détaillant les objectifs, ainsi que les pour et les contre. Des réflexions personnelles – étayées par ma pratique professionnelle et par les rencontres, discussions et arguments réguliers en défaveur des compétences que j’ai pu entendre ces dernières années – viendront étayer certains propos.

1 – Le système de notation, « à la française »:

Tel qu’on le connaît actuellement, le système de notes (ou système d’évaluation par notes) n’est apparu, dans l’enseignement français, qu’à partir de 1890; et cela, dans l’objectif de classer les gens entre eux, et de « former les élites bourgeoises sur la base de leur mérite » (1), comme le souligne Olivier Maulini, professeur d’Université et responsable du Laboratoire de recherche Innovation-Formation-Éducation (LIFE) de Genève.

L’idée de classement et de compétition est donc centrale dans le système de notes. Mais dans la société dans laquelle nous vivons, n’y a-t-il pas là un problème de fond?
Certes, tous les élèves arrivent à l’école avec des profils, des connaissances, des compétences et une éducation différente; créant ainsi de l’hétérogénéité au sein des classes. Tous les élèves sont donc uniques; et, pour de multiples raisons et malgré toute la bienveillance des acteurs de l’École, tous ne parviendront pas à obtenir le même savoir et les même compétences « de base » à la sortie de leur scolarité. Mais n’est-ce pas là l’objectif premier de notre métier d’enseignant: tenter, tant bien que mal, de leur faire acquérir ces fondamentaux? Dans ce cas, à quoi bon les classer alors que l’objectif est que tous acquièrent ces savoirs et savoir-faire élémentaires?

D’ailleurs, à l’exception des procédures d’orientation (Lycée Pro, ParcoursSup, etc.; dont on ne parlera pas dans cet article car l’orientation est un sujet de discussion à part entière, et qui devrait être bien plus discuté au sein de l’École), l’institution ne demande pas de classer les élèves entre eux; que ce soit en maternelle, en primaire, au collège, comme au lycée. Quant aux diplômes du Baccalauréat et du Brevet des Collèges, ce ne sont par définition pas des concours; et l’objectif initial est bien évidemment que tous le/les acquièrent.

Si l’École n’a pas pour objectif de classer les élèves, pendant leur apprentissage comme à leur sortie, le recours au système d’évaluation par notes induit et favorise toutefois la compétition entre eux. Pourtant, même si cela peut être moteur pour certains, c’est très loin d’être le cas pour tous; et les sciences cognitives s’accordent à le dire: lorsque le climat d’apprentissage n’est pas assez serein et que la régulation émotionnelle n’est pas acquise chez tous les élèves, l’ensemble du processus d’apprentissage peut être inhibé par l’émotion de ce dernier(2); le rendant improductif. Dans un monde où, de plus en plus, nous travaillons avec des élèves qui ont « peur des maths » ou qui se disent « nuls » dans cette matière, mettre en compétition les élèves entre eux n’est pas (n’est plus?) la solution. Et plusieurs travaux d’André Antibi, professeur agrégé et thésard de mathématiques et de didactique, vont clairement dans ce sens (3).

Afin de continuer dans nos réflexions, j’ai deux petites questions à vous soumettre.
Les votes sont anonymes, et vous ne pouvez voter qu’une fois par question. Si vous ne souhaitez pas voter mais voir les votes, cliquez sur « je ne souhaite pas répondre » :

Comme vous pouvez le voir, les résultats parlent d’eux même, et il est clair que l’immense majorité des professeurs des écoles et des enseignants répondraient la même chose:
1) classer les élèves au sein même de leur parcours d’apprentissage n’a pas de sens (à la fin de leur parcours d’apprentissage, pourquoi pas; mais pas pendant, car il y ont justement le droit de se tromper);
2) développer la cohésion et la confiance mutuelle, entre les élèves, et en tant que futurs citoyens, est essentiel. Il est d’ailleurs assez limpide, quand on observe le sentiment de méfiance (exacerbé par les notes et par la peur de rater le/les concours) de certains individus en faculté de médecine ou en classe préparatoire, qu’il est dans nos devoirs d’enseignant d’apprendre aux élèves à coopérer entre eux plutôt qu’à se méfier / qu’à avoir peur de l’autre. Et cela, que vous êtes adapte – ou non – des compétences.

Résumons donc là où nous en sommes:
– l’École a pour objectif de faire acquérir à tous les élèves des même fondamentaux, avant la fin de leur scolarité;
– comme il n’y a pas de concours au sein de l’École, à quoi bon les mettre en compétition les uns avec / contre les autres, alors qu’ils sont tous différents, qu’ils n’ont pas tous une régulation émotionnelle parfaite et que la compétition n’améliore pas la confiance mutuelle;
– classer les élèves au sein même de leur processus d’apprentissage n’a pas de sens.

Sur le fond, le recours aux notes à l’École n’a donc pas (plus?) lieu d’être.

Mais sur la forme, et en pratique, qu’en est-il de l’évaluation par notes?
– un 16/20 ou un 8/20 permettent-il de savoir quoi retravailler pour l’élève?*
– les élèves passent leurs journées à comparer leurs résultats, si bien que cela devient une obsession. Mais cela a-t-il du sens de comparer sa note à celle de son voisin ou de sa voisine?

À ces deux questions, vous connaissez la réponse: Non.
Pour la première, la note n’est pas propice à l’apprentissage de l’élève; tout du moins, elle est dépendante de la présence de commentaires construits et explicites de l’enseignant sur les erreurs de l’élève*.
Quant à la seconde, les difficultés et facilités sont évidemment différentes d’un individu à un autre, les profils aussi; et se comparer à la note de son copain ou de sa copine n’a bien évidemment aucun sens.

Malheureusement, ces problèmes sont une fois de plus induits par le système d’évaluation par notes. Problèmes qui deviennent, chez certains élèves, de véritables blocages avec la matière donnée.
Et en même temps, peut-on vraiment leur en vouloir, de se bloquer et de baisser les bras? À force de se retrouver avec des notes désastreuses, ces élèves qui « sortent du moule habituel », qui ont de sérieuses lacunes et/ou qui ont des troubles cognitifs baissent les bras; et j’ai compris cela le jour où, en observant une séance d’une collègue d’espagnol en 4° avant son inspection, je me suis rendu compte que je ne comprenais absolument rien: j’étais totalement pommé, probablement comme certains de mes élèves. Faites le test, les germanophones 😉

Parce que les anciennes générations ont été, pendant toute leur scolarité, réduite à « avoir de bonnes notes »; et que chaque individu était lui-même réduit à une moyenne, je comprends mieux pourquoi autant de parents transmettent involontairement leur « peur », leur « dégoût » ou leur « répugnance » des mathématiques. Cela ne m’étonne donc pas le moins du monde quand, à chaque rentrée, je découvre des élèves qui ont un blocage avec cette belle matière.

Force est de constater que ces questions et constats ne sont pas positifs. Certes, l’évaluation par notes permet d’une manière assez précise pour l’enseignant de poser un diagnostic sur ce qu’un élève a compris d’une notion; et cela, grâce à un barème défini. Mais si le travail d’expliciter précisément ce qui doit être travaillé ou retravaillé par l’élève n’est pas fait par l’enseignant, alors ce système de notes n’est utilisé que dans un seul et unique objectif: répondre, pour l’enseignant, à un devoir institutionnel (celui d’utiliser les notes).

Or, étymologiquement parlant, enseigner c’est « transmettre à un élève de façon à ce qu’il comprenne et qu’il assimile ».

Les conclusions sautent donc aux yeux:
– si l’enseignant n’évalue par notes que pour noter institutionnellement, il manque à sa fonction, à sa tâche;
– s’il note en ajoutant des commentaires explicites sur les erreurs de l’élève et sur ce que ce dernier doit retravailler, il répond à sa fonction, à sa tâche et à la demande de l’institution;
s’il n’évalue que par compétences, en ne s’intéressant qu’à l’évolution de ses compétences des élèves, il désavoue la demande de l’institution de noter.

Malheureusement, on a tous dans notre entourage plusieurs collègues qui évaluent par note sans jamais écrire de commentaires explicites sur ce que l’élève doit retravailler. Cela m’est même arrivé, lorsque j’ai débuté.
Toutefois, qu’on se comprenne: cela ne veut pas dire qu’il faut passer 10 minutes à écrire, sur chaque copie, ce qui est bien fait ou ce qui est à revoir; mais plutôt: il faut trouver un moyen pertinent pour que l’élève sache quoi retravailler en regardant sa copie / les points obtenus – perdus / le barème / etc…

Toutes ces constatations et conclusions font donc que, depuis plusieurs années, des voix se font entendre; et l’institution française, ainsi que plusieurs chercheurs tels Daniel Favre(4), ont commencé à remettre en question son système d’évaluation, par notes.

2 – La création d’un système d’évaluation noble:

Synthétisons ! L’évaluation par notes:
n’a pas un fond noble;
a de gros et de nombreux points négatifs;
n’a pas de sens en maternelle, primaire, collège et lycée (car aucun concours / classement entre les élèves n’est à effectuer);
est facile à mettre en place (grâce à un barème rigoureux);
n’est pas appliquée de manière optimale par une partie des enseignants en France (pas de commentaire explicite sur ce qu’il faut retravailler).

En partant des constats précédents – que de nombreux professeurs des écoles et enseignants font depuis plusieurs dizaines d’années en France – il est possible de créer un système d’évaluation meilleur. Un système d’évaluation qui:
ne classerait pas les élèves, mais leurs permettrait de savoir où ils en sont dans leurs acquisitions de notions à un instant t;
permettrait d’éviter le plus possible la comparaison des résultats scolaires entre les élèves, et les blocages qui peuvent en résulter.

Néanmoins, pour que ce système d’évaluation noble soit appliqué par tous, il est nécessaire – dans l’ordre:
1) de faire prendre du recul aux enseignants sur l’évaluation par notes (et donc les aider, pour ce faire, à remettre en question l’entièreté du système dans lequel, nous tous, nous avons été éduqués);
2) de rendre simple d’utilisation ce dit nouveau système;
3) d’apprendre aux professeurs des écoles et aux enseignants à l’utiliser.

Ce système d’évaluation noble, c’est le système d’évaluation par compétences. Il remplit en effet le cahier des charges suivant:
a un fond noble;
a du sens tout au long de la scolarité;
n’a pas les points négatifs du système d’évaluation par notes (car il se focalise sur l’individu et sa progression);
est facile à mettre en place (voir les conditions posées dans l’article suivant);
est parfois même plus facile d’utilisation que le système d’évaluation par notes (même cf);
permet à l’élève de savoir exactement ce qu’il doit retravailler.

Malheureusement – et même si de nombreux enseignants s’y sont mis, ont fait des recherches et se sont documentés sur ce « nouveau » système d’évaluation – l’Éducation Nationale n’a pas encore tout à fait pris le pli: certes, en primaire et au collège, le LSU (Livret Scolaire Unique) est validé par compétences, de même pour le DNB (Diplôme National du Brevet) au collège, qui a la moitié de ses points évalués par compétences (400 sur 800 pts); mais l’évaluation quotidienne reste encore et toujours effectuée, par l’immense majorité des enseignants, par notes.
Or, comme on l’a déjà décrit précédemment à plusieurs reprises, c’est justement cela qui pose véritablement soucis: que les notes soient utilisées au quotidien, en particulier lors d’évaluations formatives; car cela n’a pas de sens au sein même du processus d’apprentissage.

Par contre, que cela soit explicite: dans le cas des concours, évaluer par notes fait sens; car cela permet de départager des élèves / étudiants qui devraient avoir tous acquis des même compétences au moment où ils passent les épreuves. Le système d’évaluation par notes y est donc pertinent, puisqu’on souhaite classer ces candidats pour en sélectionner les meilleurs.

Mais pour revenir aux compétences, cela ne me choque pas qu’on n’en soit encore qu’à là, en France. En effet, nous n’avons pas été formés à ce système d’évaluation; et quant à la littérature sur ce sujet, elle est parfois difficile à trouver et n’est surtout pas assez mise en avant(5) .

C’est la raison pour laquelle, dans le deuxième et le troisième article de cette série – intitulé « Évaluer par compétences – Partie II: » et « Évaluer par compétences – Partie III: » – j’expliciterai l’ensemble des connaissances que j’ai acquises quant à l’évaluation par compétences; et je détaillerai également en détail les retours d’expérience que j’ai pu accumuler tout au long de ma pratique professionnelle.


Bibliographie et Sitographie:

(1): Maulini, O. (1996). Qui a eu cette idée folle – Un jour d’inventer [les notes à] l’école ?

(2): J’aurais pu citer là de nombreux ouvrages sur lesquels j’ai accumulé mes connaissances sur les sciences cognitives. Pour celles et ceux qui souhaitent obtenir ces références, elles sont disponibles dans la bibliographie du mémoire qui suit; et pour celles et ceux qui souhaitent une introduction précise mais synthétique de ce que peuvent apporter les sciences cognitives à l’enseignement, je vous invite à le feuilleter:
Sergent, T. (2018). Les sciences cognitives au service de l’enseignement.

(3): Oillic, E. (2018). Note de lecture – La constante macabre.

(4): Favre, D. (2003). Pour décontaminer l’erreur de la faute dans les apprentissages.

(5): À venir dans le troisième article.


Lien vers l’article n°2: cliquer ici

Lien vers l’article n°3: cliquer ici

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